A Propos
La petite histoire
Je suis devenu Narrative Designer à une époque où cette appellation n’était pas encore vraiment entérinée, en tout cas pas en France. C’était avant que le terme ne vienne jusqu’à moi, probablement par LinkedIn. Quoi qu’il en soit, c’est sur ce réseau social que j’ai il me semble, vu pour la première fois opérer le changement d’une de mes collègues qui ne s’y présenta plus comme Mission Designer, mais comme Narrative Designer.
Pourtant, ma première mission dans le jeu vidéo était officiellement celle de “Mission Designer”, sur un jeu mobile appelé Criminal Case. Et le terme n’était pas usurpé. En effet, bien qu’il fallut rédiger beaucoup de dialogues, faire usage de ressorts narratifs propres à l’enquête criminelle et toujours faire preuve d’originalité pour proposer des personnages hauts en couleur, il ne s’agissait probablement pas de Narrative Design à proprement dit.
Quoi qu’il en soit, j’imagine que les choses sérieuses ont débuté pour moi lorsque Gameloft m’a offert un véritable contrat de Narrative Designer en avril 2017, pour qu’effectivement, j’écrive très peu de dialogues et que je produise, il faut le dire, beaucoup de documentation sur PowerPoint.
Un peu de hasard, beaucoup d’amour
Si on rembobine un peu, je dois avouer que ce premier job sur Criminal Case tient un peu de la providence. C’est une bascule dans ma vie professionnelle et dans ma vie, à un moment où je m’étais résolu à embrasser une carrière de graphiste PAO après une auto-formation. A ce moment là, ma vie professionnelle n’était faite que de petits boulots, entre restauration et centre d’appels, après quelques errements à la fac et une école des Beaux-Arts, jamais féconds.
Il faut dire qu’à ce moment-là, j’étais pas mauvais en PAO. Ma pratique était sérieuse, mon expérience non négligeable, tout me destinait à devenir un professionnel de Indesign pour qui voudrait bien louer mes services. Il me suffirait de trouver cette première expérience rémunérée pour lancer la machine.
Mais, le fait est qu’en parallèle de tout ça, j’ai toujours écrit. En français, en anglais, des nouvelles, des petits films, des fictions de ci de-là, mais aussi des projets aboutis. Je m’étais suis auto-formé à l’art du screenplay sur Internet, à une époque où trouver un script était encore assez compliqué. Tout ça tient de la discipline d’adulte, même si elles s’inscrivaient dans continuité de projets d’adolescent plutôt désordonnés. Au tour de cet âge adulte justement, j’étais il faut le dire déjà très passionné par le jeu vidéo et les histoires qu’il raconte. Et parmi ces jeux vidéo, il y en avait notamment un, Resident Evil, qui déclencha en moi beaucoup de ferveur et d’admiration, mais tout autant de force de travail.
Dans le même temps, au milieu d’un échec scolaire absolument épique, j’ai livré sur un Internet pré-youtube un fan-film Resident Evil intitulé Veronica Reborn, filmé dans mon lycée de l’époque et une grande et magnifique maison située en région lyonnaise. Des décors de rêve, pour un projet qui ne saurait être plus amateur. Faute de livrer de bon devoirs à l’école en préparation du baccalauréat, au moins je terminais les projets que je me mettais en tête de concevoir, même s’il s’agissait d’une version “Suédée” de Resident Evil. Ce qui est satisfaisant en soi, j’imagine. (J’ai même pas fini l’année scolaire notamment parce que trop occupé à faire ce film. Les priorités, voyez-vous.)
Suite à cela, quelques années d’errance entre plusieurs petits boulots et projets plus ou moins sérieux, un voyage décisif à Toronto au Canada muni d’un script que je voulais vendre à la télévision m’a fait découvrir avec un peu de brutalité un monde où rien ne se passe sans agent ni sorte de cooptation. Avec la fin de l’innocence et la rencontre effective avec un monde résolument adulte, justement, se concrétisait alors l’idée que vivre de son écriture tenait soit d’un esprit d’insolence soit d’un objectif très peu réalisable.
D’autant que cette envie a pris un autre coup dans la mâchoire. Vers les années 2008-2010, j’envisageai de continuer de graviter autour du monde du divertissement et du cinéma en voulant travailler dans la presse spécialisée. C’est difficile à croire mais oui, je décrochais des entretiens et des réponses pour faire des piges notamment grâce à Pepper Steak, ma revue “Pop/Geek” auto-éditée pendant quatre ans durant. Mais 2008 rime aussi avec crise économique. Et une rédac-cheffe d’une revue que j’adorais, alors intéressée pour me faire travailler et que je rencontrai dans un café de la rue des Petits Carreaux me le dit tout à trac: “C’est la crise dans la pub. Toute la presse est touchée. Pas de contrat, mais peut-être des piges, on verra.” Aucun autre numéro de cette revue ne parut. Et effectivement, malgré quelques piges assez bien payées dans GQ, la perspective de quitter mon job chez MacDo pour devenir journaliste pop culture disparut assez rapidement.
Mais, quelques années plus tard, cela a fini par arriver. J’ai effectivement reçu, quelques années plus tard, un premier salaire pour un poste de Mission Designer suite à un embauche basée sur mon seul travail personnel. Des scripts en anglais bien formatés, mon fanzine de pop culture auto-édité, quelques maquettes de graphisme, c’est ça, et seulement ça qui a payé. Et dans ce métier, tout se joue à cette fameuse “première expérience”, qui vous fait il faut l’avouer, rentrer dans le sérail.
Une définition de mon travail
Qui est le Narrative Designer?
Je ne fais pas partie de ceux qui déclarent qu’une définition du Narrative Design soit impossible à donner où qu’il y en ait autant qu’il y a de postes ou de projets. Au gré des lectures, en faisant route dans la documentation disponible sur le sujet et me basant sur mon expérience propre, je serais prêt à conclure que les contours du métier sont suffisamment dessinés pour qu’on puisse retrouver le même type de compétences d’un poste à un autre.
Un confrère de chez Ubisoft qui me faisait passer un entretien m’a un jour posé la question de comment je définissais le Narrative Designer. Alors que je récitais la définition le plus souvent admise du “champion de la narration et de l’histoire doublé d’un écrivain”, il a plus ou moins coupé court en disant: “Pour moi c’est un Game Designer avant tout. Qui se charge aussi de l’histoire.” Et je m’y suis retrouvé. La notion de Design est essentielle, elle est d’ailleurs au centre de mon travail. La réalité est que je produis beaucoup plus de documents et de tableaux Excel que je n’écris de prose ou de dialogues. Et j’imagine que c’est à ce moment là qu’on se sait ND et non plus “Game Writer”.
Responsabilités
Je tenterai quand même une définition, parce que je ne veux pas me dérober du sujet. A mon sens le Narrative Designer est un architecte de l’histoire pour articuler le gameplay autour de notions de dramaturgie, et de constructions de récit. Il est aussi celui qui remplit le rôle de gardien, et pourquoi pas de responsable éditorial à bien des égards. En effet, il revient souvent, voire parfois exclusivement au Narrative Designer de s’exprimer au nom du jeu développé, bref au nom du produit. En ça, il tient aussi une sorte de responsabilité quant à l’intégrité, la réception future et l’acceptabilité du produit en sa forme, sa représentation, son message, qui sera en fin de chaîne, porté par le studio.
En cela, il me semble qu’il incombe au Narrative Designer d’entretenir son regard perspicace sur l’état du monde, de saisir des rudiments d’enjeux de société, de faire preuve d’esprit critique et curieux et ce, probablement plus que les autres au sein d’un même studio.
Auteur, aussi
Sûrement par pudicité, probablement par méconnaissance, ou même par peur. Mais je dois confesser que par bien des aspects, mon travail de Narrative Designer a également été celui, même de manière inattendue, été un travail de pur autorat. C’est une notion quasiment jamais abordée lors d’entretien, qui sont pour la plupart des occasions de montrer les muscles. Les muscles, c’est bien. On a besoin de muscles, surtout pour porter des charges lourdes. Mais c’est l’expérience qui m’a donné beaucoup d’occasions d’être à l’auteur de pures idées créatives, impliquant des ramifications aussi bien gameplay qu’éditoriales. Pour faire simple, j’ai découvert qu’on attend aussi du Narrative Designer qu’il apporte l’étincelle, l’idée fondatrice qui va découler sur beaucoup d’autres choses, alors qu’on attendrait que la création provienne soit du Game Designer ou du Directeur Créatif. Mais dans la pratique oui, je me sais désormais attendu pour donner une direction claire sur des aspects de pure création, hors du champ du Design.
Pour un jeu vidéo populaire
C’est en forgeant que l’on devient forgeron, et j’aime à croire que la nature des projets sur lesquels j’ai travaillé on façonné le faiseur que je suis devenu. Ou alors, rien n’arrive par hasard et force est de constater que les jeux qu’on m’a donné à penser me conviennent plutôt bien. Car depuis le début, j’ai été amené à livrer idées et contenu sur des titres très populaires: Criminal Case, mon premier, était un hit populaire sans précédent, dans le magma encore nouveau du jeu “casual” sur Facebook et mobile. Les jeux Otome sur lesquels je travaillais se voulaient aussi être des produits “pulp” en version romance, pour un large public, car même s’ils avaient l’écrin de jeux de niche, ils étaient en réalité appelés à trouver un public toujours plus large. Enfin, Miraculous était pour moi la synthèse de tout ça, et la possibilité de travailler sur un hit certain de par le prestige de la license, un titre pour les familles, strictement pour le fun, avec des valeurs positives qu’il me plaît de partager.
Maintenant, pour définir l’essence de mon travail. Je suis un faiseur et pas un théoricien. Je ne me dirige pas vers une étude des systèmes, et encore moins sur le sentier de la narratologie.
Souhaits et aspirations
Présentement en poste dans un fantastique studio sur une projet dont le style se trouve loin de mes expériences passées, j’aspire à m’investir pleinement dessus. Car c’est un projet qui m’ouvre des opportunités uniques d’explorer de nouveaux outils à la pointe, et des façons nouvelles d’appréhender la narration dans les univers virtuels. Pas mal, n’est-ce pas ?
Et il y a ce site, évidemment. Le projet “Lorecraft” pourrait prendre bien des formes, il ne reste plus qu’à moi de définir lesquelles.