Tout comme cette lettre que vous trouvez coincée entre deux documents alors que vous rangez vos papiers, le film Root Letter est un objet inattendu, un événement bienvenu, qui mérite qu’on lui accorde considération et attention.
Root Letter est un de mes jeux vidéo favoris, sûrement le visual novel le plus abouti et le plus mature que je connaisse, un objet de quiétude rare et troublant, exécuté avec une précision et une maîtrise du récit remarquables. Un jeu qui me laisse encore aujourd’hui admiratif.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris, par la magie des algorithmes des réseaux sociaux, l’existence d’un film en développement officiellement adapté du jeu et qui plus est, non pas un drama japonais, mais un film indépendant américain.
Ce film, je l’ai attendu, appréhendé, un peu fantasmé. Et il m’a été donné l’occasion de le voir, peu après sa sortie, sur la plateforme TUBI.
Une enquête épistolaire
Root Letter suit le parcours de Carlos, un jeune homme un peu perdu qui se met en tête de retrouver la trace de Sarah, sa correspondante dans une chaîne de lettres, organisée par leurs écoles respectives.
Quand il reçoit une ultime lettre de Sarah avouant un meurtre, et parce qu’il n’a pas forcément autre chose à faire dans sa vie à ce moment précis, il se décide à la retrouver afin de découvrir ce qu’il en est. Au fur et à mesure de ses rencontres, Carlos démêle le mystère entourant Sarah, toujours dans l’espoir de la retrouver et pourquoi pas, de l’éloigner de ce nœud problématique que semble être son existence.
Donc, oui, c’est un démarrage d’intrigue difficile à digérer pour un film contemporain, de voir s’engager de jeunes adultes dans une correspondance papier. Ce qui marchait très bien pour un jeu japonais à la temporalité incertaine peine un peu ici et demande autant à la sensibilité de ses deux protagonistes qu’à la suspension d’incrédulité du spectateur. Carlos et Sarah sont donc des marginaux, des êtres suffisamment égarés pour s’adonner à une correspondance épistolaire alors qu’ils n’ont jamais entendu parler l’un de l’autre.
Mais, de cet égarement va émerger une intrigue, une course pour, au final, une demande d’avantage de fuite pour mieux aspirer à la normalité, enfin.
Une affaire d’esthètes
Au-delà de ce « pitch » qui reste similaire, il y a un parallèle inattendu entre Root Letter le jeu et le film à identifier, et c’est probablement son goût irréprochable.
Le doux-amer mélancolique du film de Sonja O’Hara est d’abord ce qui caractérise son œuvre et qui emporte son récit. Les pastels peignent la douceur âpre de cette Amérique sans histoire où évoluent tant bien que mal, au milieu de désirs de briser cette chaîne écrasante du quotidien, de jeunes adultes en douce perdition. C’est une Amérique que l’on voit peu ou pas, d’ailleurs, dans le tout-venant d’Hollywood ou de Netflix.
Du côté jeu, c’est également un Japon plutôt rural qui nous était présenté, la chronique d’une petite ville sans histoire, très loin des tumultes de la mégalopole, où le protagoniste, un citadin, se heurtait à des personnages dotés d’autant de bon sens que de lourds secrets.
Là où le film bifurque toutefois, c’est dans l’exploration quasi-horrifique de certaines mises en scène et maquillages, notamment lorsqu’il s’agit de dépeindre les addictions et la lente déliquescence mentale de la mère de Sarah, dont la mise en scène frôle parfois le fantastique.
Une quête de simplicité
Il y a quelque chose d’admirable dans le personnage de Sarah, aussi admirable que cette quête si peu racontée dans les récits contemporains. Cette quête est celle de la sécurité et de la simplicité.
Pour cette jeune fille qui doit composer seule avec une mère dont l’addiction à la drogue la réduit à la monstruosité, où la présence d’un homme dans la maison n’est que fantomatique, sans visage, il y a d’autres rêves à chasser dans l’existence que le spécial, l’exceptionnel ou le frisson du crime.
Sarah a ça de plus que ses amis, qu’elle n’a qu’en tête d’édifier sa vie sur une base plus ou moins stable. Quand son entourage ne cherche qu’à s’encanailler pour fuir un quotidien étouffant de monotonie, elle doit gérer le rejet de sa mère qui préfère la drogue à sa fille et la tentation d’intégrer une famille en apparence respectable, mais qui cache dans le coffre de sa psyché un autre monstre tout aussi gluant de souffrance.
Le salut se trouve dans une ultime lettre qui confesse un souhait de vie simple, un vœu de sécurité, qui prendra place en toute fin de récit dans l’adoption d’un nouveau nom, sur les lieux d’un job alimentaire. Un lieu de restructuration, de répit, comme le lieu d’une prière exaucée, un lieu où Sarah et Carlos seront amenés à enfin se retrouver.
Bifurcations
Peu ou pas de choses sont trouvables à propos de l’origine de ce projet, à part que la branche américaine de la société japonaise de jeux mobiles Akatsuki a, aux alentours de 2018, lancé la production du film, afin de diversifier leurs activités.
Bien qu’on aimerait que plus d’attention ait été apportée au film, à sa genèse, il est tout à fait appréciable de pouvoir compter parmi les œuvres transmédia entre cinéma et jeu vidéo cette œuvre qui se démarque du reste. Un film qui bifurque sur son propre sentier, pour écrire sa propre correspondance en s’affranchissant du récit original, tout en conservant une élégance et une mélancolie propres à la culture dans laquelle il évolue.
Et pour ce qui me concerne, Root Letter le film restera un objet que je chérirai, comme un post-scriptum aussi inattendu qu’incongru et appréciable à mon expérience sur le jeu.
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