J’ai été impatient face à son impolitesse, agacé par sa simplicité qu’il habillait comme un récit d’exception. Et alors qu’il a attendu son final vertigineux pour se révéler être, effectivement, un jeu extraordinaire, Nier: Automata me laisse avec, enfin, beaucoup de sympathie.
Un chemin difficile
Il y a de ces moments que l’on ne peut expliquer pourquoi ça marche, et c’est là la marque des œuvres que l’on n’oublie que difficilement. Et pourtant, bien avant de m’enjouer, N:A a pris le temps de copieusement m’exaspérer.
Il est de ces jeux qui exigent un un investissement particulier, pour ne pas dire exceptionnel. N:A n’est pas forcément de ceux-là, mais j’avais à cœur de l’appréhender à sa juste mesure. On peut donc dire que j’y ai correctement joué. Des sessions longues d’environ deux heures chacune, ininterrompues, étaient de rigueur.
Je précise cet aspect au lecteur car il est primordial. Mon cerveau de 39 ans, sur-sollicité par une vie de jeune papa à l’époque, exigeait bien plus de temps et de quiétude qu’il en demandait il y a encore 5 ans auparavant, ceci étant encore plus vrai que n’importe quel J-RPG vient avec son lot d’exigence souvent au delà du raisonnable.
Parmi les à-côtés, je m’étais procuré le “World Guide – vol. 2” qui en plus d’être un guide stratégique, s’avère être tout à fait ce qu’il prétend être, c’est à dire un véritable guide sur le monde mis en place par l’esprit de Yoko Taro, son créateur. Les mangas, ont également accompagné mon expérience, alors qu’un éditeur français les sortait alors même que mes sessions avaient commencé.
L’animé quant à lui, avait débuté sa sortie quelques jours auparavant, et je pus visionner le premier épisode le jour avant que je termine l’acte final. Tout ça sortait bien tard, pour un jeu déjà vieux de cinq ans (plus?) Pourquoi maintenant, alors que je venais de m’y mettre ? Faut-il y voir un signe, un de ces coups de pouce de l’univers ? Un pichenette un peu lourde dont N:A en use et en abuse ?
Quoi qu’il en soit, cet exercice de transmédia auquel N:A excelle toutefois, avait produit en moi une difficulté à me détacher de son univers. Une fois la besogne accomplie, je ressentis une véritable difficulté à passer à autre chose, bien qu’il fut hors de question de relancer le jeu une nouvelle fois. Nous y reviendrons.
Pourtant, je l’ai regardé en “game movie” immédiatement une fois mon run terminé. Un passage devenu quasi obligé pour chaque jeu dont je valorise l’histoire, comme une deuxième couche de peinture venant confirmer la première, et combler les brèches. Ce visionnage a eu la vertu de consolider ma compréhension globale de l’histoire, à l’abri de la tentation du “grind”, à laquelle je resiste peu, surtout quand c’est bien fait. Ce fut d’ailleurs un game movie tout à fait agréable à regarder, à la progression fluide, correctement rythmée, même exempte de toute sa boucle de gameplay. N:A a donc également cela pour lui, en plus de ses qualités intrinsèques: il se regarde très bien.
Méta-narrativité et yeux aux ciel
Oh, combien de fois mes yeux n’ont-ils pas levé vers le ciel au vu de ces acrobaties narratives exécutées avec l’aplomb du champion, alors que je n’avais rien demandé de véritablement exceptionnel ? Alors que ma crédulité était suspendue bien au-delà du plafond ? Rapidement las, j’ai été, face à ce réflexe de justifier chaque mécanisme avec du narratif, toujours du narratif, du sens, de la justification, tout simplement agacé.
Oui, ici tout est couvert, le maillage narratif est une assurance tout risque à reconduction tacite. Elle intervient quand on meurt, ou lors de l’usage du fast-travel, justifié par une sombre histoire de transfert vers un corps temporaire, mettant davantage à mal la logique que si on avait simplement misé sur la suspension de crédulité. Un fast-travel qui tombe en panne un peu quand il veut d’ailleurs, tel un ascenseur du métro parisien. Et dans l’un comme dans l’autre, l’effet dramatique produit est toujours assez pauvre et prête fatalement à soupirer.
L’exécution scénique n’est pas en reste. On comprend bien les choix pris à contre-courant pour créer du contraste et par corollaire, du style, mais parfois, ça ne fonctionne tout simplement pas. Oui, c’est rien d’autre qu’un échec qui se produit quand un des dialogues les plus importants, celui avec Adam et Eve, se fait en plein combat bruyant, musique à fond, texte inaudible, lecture des sous-titre gênée par un gameplay exigeant… une pensée pour les défenseurs de l’accessibilité est de mise.
Insolence, encore
Et comment ne pas évoquer le plus grand coup de bluff dramatique jamais opéré dans un jeu vidéo, ou même, dans une oeuvre ? La pantalonnade la plus suffisante et mal élevée, la plus arrogante et la plus ringarde jamais exécutée ? Quel autre jeu a l’outrecuidance de penser que son premier acte est si exceptionnel qu’il faudrait le faire jouer deux fois deux de suite ?
Alors oui, je lis bien le commentaire méta, la mise en application du “même joueur joue encore”, qui emrpunte à la grammaire du jeu vidéo, le jeu vidéo en lettres d’or, art adoubé par les grandes académies. Mais c’est un hommage que je refuse. Je le refuse, parce qu’encore une fois, il m’agace, me prend de haut. Oui, j’ai remarqué que les boules envoyées par les ennemis faisaient écho à toute une culture sur les shmups. Oui, je sais que le shmup est la discipline la plus pure, la plus noble du jeu vidéo. Je sais tout ça, j’ai entendu la musique qui passe en 8-bit avec, encore, toujours ce sous-texte “les vrais savent”. J’ai vu tout ça, et non, cela ne me fera pas accepter que je dusse refaire le premier acte une deuxième fois, sans ajout supplémentaire que le simple commentaire emprunté du connaisseur.
Quel effet cela est-il sensé produire, mise à part de la confusion ? De semer le doute qu’il ne s’agit pas d’un bug ? Pour ma part, j’avoue avoir consulté le guide pour déterminer si je n’avais pas choisi un mauvais embranchement narratif quelque part. Mais oui, cet embranchement du loser, celui qui vous fait poser la question du temps gâché, cet embranchement qui vous conduit au célibat dans les otome games ? Non, il ne s’agissait pas d’un bug. N:A vous fait faire deux fois le premier acte. C’est comme ça. Et ne vous attendez pas à des subtilités de scénario entre les deux réalités alors crées. Nous ne sommes pas dans “LOST” ou “Un jour sans fin”. On rejoue. La même. C’est tout. Pas besoin d’ouvrir une section spoiler. Ce sera exactement le même contenu, les mêmes dialogues, les mêmes combats. Rien ne change. Allez, au boulot.
Au final, ce n’est pas seulement de l’arrogance, mais une véritable incivilité.
Mais quand elle n’exaspère pas totalement, cette arrogance prête à sourire, d’un sourire honnête, franc, béat, même. Comme cette cave planquée dans le désert où des vagues ennemies arrivent à l’infini, le jeu demeurant pertinemment conscient que son combat parfait, apposée du sceau légendaire de “Platinum Games”, est appréciable sans interruption, pour une jouissance sans entrave. Cette fois, c’est pardonné.
C’est donc dans ces caves secrètes, ces chemins de traverse, que N:A trouve le chemin de la rédemption. Car une fois la mauvaise blague du premier acte à faire deux fois de suite passée, et une fois qu’on a mieux saisi l’univers pour y avoir été réintroduit, on doit enfin admettre que certains contrastes dans la scénographie font mouche.
Je pense notamment cette scénographie glaciale où nous est révélé le plus gros secret de l’histoire. Caméra éloignée, pas de musique. La Commander qui abandonne… puis un simple texte assez court. La supercherie nous est donnée quasiment de manière accidentelle, accentuant davantage le caractère désuet du sort de l’humanité. Cette scène de la grande révélation est à mon sens une des plus réussies du titre, et elle nous est donnée comme une formalité, quelque chose avec lequel composer désormais, sans cérémonie. On a toujours un jeu à finir, un jeu qui s’affine et s’affirme au gré des chapitres, mais dont le sort dramatique, lui, est scellé.
Contrastes et contorsions
N:A aura a coeur d’user de cette image du robot qui tente de s’humaniser, et les mise en scènes avec des androïds en boîte de conserve imitant pitoyablement des comportements humains seront légion. Cependant, ce n’est pas forcément dans ces nombreuses mise en scènes lourdes, appuyées par des boîtes à musiques convenues, que le plus beau contraste pourra être admiré.
Par à-coups, Le verbiage, les images et références au tout technologique seront ponctués par des empalements sommaires, des strangulations douloureuses, et du sang qui tache. Un moindre effort pour l’imaginaire et une récompense pour notre curiosité à percevoir, de ci de là, un vrai jeu de visages déformés. Par la douleur ou l’agonie, des déformations légères troublent le regard et l’impression. Eve et sa dernière attaque, avec un visage carbonisé et déformé, dérange, détonne. 9S plein de rage alors qu’il jure qu’il va massacrer tous les modèles de 2B, la mâchoire que l’on dirait prête à sortir du crâne, met mal à l’aise. La dernière “fausse” 2B au sol, que 9S exécute sommairement, aussi. Autant de visages tordus, éclatés, tuméfiés, qui transmettent bien plus de sens et d’attachement qu’on en avait trouvé partout ailleurs auparavant. Tout passe donc par la douleur.
9S a donc cette seule fonction que de demeurer beaucoup trop idéaliste et un tantinet normatif pour ne pas complètement dérailler dans le dernier acte. C’est qu’il fait tout trop bien du début à la fin, et la déroute, la torsion, le froissement, s’impose peu à peu comme inévitable. A trop réfréner ses désirs, notamment celui de “baiser” 2B, que l’on trouvera caché, enfoui dans des sous-tiroirs de non-dits et de honte, là, tapi dans la machine, 9S court, sourire aux lèvres, vers un abîme de déception et de rage, pour un dernier acte où aucune occasion de prouver sa valeur ne lui sera donnée. Au contraire, toute cette droiture ne fait que le précipiter dans sa chute, quand les machines le mettront à l’épreuve dans la dernière tour, dans une séance de torture psychologique épouvantable.
Toujours quelque chose à jouer, malgré tout
Pour ma part, toute la bascule s’est faite à l’arrivée de 2E. Le jeu avait enfin cessé son insupportable casuistique, et venait de terminer un marathon de gameplay irréprochable. Un sacrifice cathartique venait d’être exécuté et tout espoir d’un salut pour l’humanité s’était de toute façon évaporé bien avant l’amorçage du dernier acte. Le jeu nous laisse alors sournoisement tel un robot à qui il reste la tâche d’exécuter son programme jusqu’au bout.
L’assimilation de 2E à 2B a juste ce qu’il faut d’étrange pour que ça marche. Son attitude agressive envers les bots, bien trop bavards de bout en bout, est des plus bienvenues. A2 est comme une promesse de l’après-vie, une issue anti-spectaculaire et désabusée, où le passé s’étiole dans la relativité et le doute. Elle était aussi un miroir de mon état face à ce jeu, qui venait de me faire passer de l’agacement à l’épuisement émotionnel. Et comme 2E lance à son pod trop bavard, je lançai au jeu, à travers elle, un salvateur “urusaï damare”. Autrement dit, un bon vieux “ferme ta gueule”.
Toute la montée vers l’affrontement final, quand 9S pirate la dernière tour et que les jumelles viennent l’aider, est pour rien. C’est une sensation très étrange de participer à cette montée en puissance qui de toute façon on le sait, ne mènera qu’à si peu, puisque ce qu’il y a y sauver tient du symbolique. Une fois qu’on sait l’humanité cuite, on nous laisse avec des enjeux largement désespérés, comme une amertume qui viendrait gâcher le parfum du neuf.
Tout a le goût du combat de trop, ce qui donne à l’affrontement final contre Eve une saveur particulière. Et enfin, au bout des conflits interminables contre des octets agressifs, rien ne m’a laissé plus admiratif et content que la dernière sentence que 2E exprime, face à un radieux soleil. Le mot final était le bon, la beauté, enfin, semble pouvoir rattraper tout le reste.
Le meilleur morceau de musique
Tout a été dit est célébré sur la bande-son extraordinaire de N:A. Alors je ne célébrerai ici qu’un seul morceau. Un joyau, qui résume en seulement un air la mélancolie infinie de cette histoire plutôt étrange, qui s’écoute et réécoute en boucle.